Webimer sur la coquille Saint-Jacques

 

La coquille Saint-Jacques était à l’honneur dans le dernier WebiMer de France Filière Pêche. Deux chercheurs de l’Ifremer, Eric Foucher (chercheur au Laboratoire Ressources halieutiques de Port-en-Bessin) et Philippe Cugier (chercheur au Laboratoire d’écologie benthique côtière à Brest) étaient les invités de ce rendez-vous numérique qui présente les projets en cours entre pêcheurs et scientifiques. Tous deux offrent une expertise pour permettre un équilibre entre l’exploitation commerciale et une gestion éclairée de ce fruit de mer très apprécié des français.                  

 

 

Une espèce à fort enjeux économique   

La coquille Saint-Jacques Pecten maximus, l’une des 5 espèces de pectinidés commercialisées en Europe, est la première espèce en volume et en valeur en France. En 2021, 39 256 tonnes ont été débarquées, ce qui représente 9% des débarquements dans l’Hexagone pour un total de 104 millions d’euros.    

Ce mollusque bivalve, qui vit sur les fonds sableux et vaseux jusqu’à 150 mètres de profondeur de la Norvège au Portugal, est un fruit de mer dont l’enjeu économique est majeur pour de nombreux pêcheurs qui dépendent de son exploitation. Sa pêcherie est très réglementée avec une fermeture saisonnière de mai à octobre qui correspond à la période de reproduction de l’espèce. En plus de cette fermeture saisonnière, d’autres mesures prises à différents niveaux (européen, français, à l’échelle du gisement) vont compléter la réglementation. Ainsi une limite de la taille des 572 bateaux est posée, tout comme la taille minimale des captures, les quotas de pêche, le diamètre des anneaux de la drague (outil utilisé pour la capture des coquilles),  les jours et temps de pêche. Dans la baie de Saint-Brieuc par exemple, la limite du temps de pêche est fixée à 45 minutes 2 fois par semaine sachant que 10 minutes suffisent pour remplir la poche de la drague.    

 

 

Trouver l’équilibre entre exploitation commerciale et bonne gestion  

En Manche, ces réglementations à l’initiative des comités des pêches s’appuient sur les résultats des campagnes océanographiques françaises annuelles COMOR (Coquilles Manche orientale en baie de Seine) et COSB (Coquilles en baie de Saint-Brieuc) opérées par l’Ifremer. Elles proposent des estimations de la biomasse exploitable, d'un indice quantitatif du recrutement (prochaine génération à entrer dans les captures) et du pré-recrutement (dernière génération née, non encore accessible de par leur taille aux engins de pêche), et des paramètres de croissance.

L’objectif est d’évaluer l'abondance du stock de coquilles Saint-Jacques dans ces deux principaux gisements qui concentrent 90% des captures de coquille Saint-Jacques. Les données issues de ces campagnes servent ainsi de support direct aux décisions des « Commissions coquilles » des Comités Régionaux des Pêches Maritimes et Élevages Marins de Normandie et de Bretagne, avant l'ouverture de la saison de pêche, et aux mesures de gestion adoptées par l'Administration des Pêches.

Le but est d’apporter des arguments et des indicateurs qui permettent d’avoir la gestion la plus adaptée. Bien que contraignant les pêcheurs à limiter leur récolte (moins de temps passé en mer et moins de coquilles ramassées), cette gestion éclairée porte des fruits. Les données collectées pour l’année 2021 montrent une augmentation extrêmement importante et récente des biomasses de coquilles Saint-Jacques malgré une forte exploitation. Exploitation commerciale d’une espèce et bonne gestion ne sont pas incompatibles. En baie de Saint-Brieuc, des biomasses inédites ont été atteintes avec près de 90 000 tonnes et des captures qui atteignent des records de l’ordre de 12 000 tonnes. En baie de Seine, une amélioration substantielle depuis 5 ans est identifiée, l’année 2022 présentant le record absolu de biomasse avec plus de 100 000 tonnes disponibles en baie de Seine. La fine connaissance de la coquille Saint-Jacques et sa gestion permettent aujourd’hui de faire des prévisions à moyen terme pour anticiper sur les différentes années.

  

 

Une problématique phyto-sanitaire        

Cependant l’efficacité du système de gestion de la coquille Saint-Jacques peut être fragilisée par des épisodes de prolifération massive d’une micro-algue (Pseudo-nitzschia) qui produit une toxine nocive pour l’homme (acide domoïque) pouvant entrainer des fermetures de pêche quand des seuils en toxine trop élevés dans les coquilles Saint-Jacques sont atteints.    

Comment y faire face ? C’est l’objet du projet MaSCoET (Maintien du Stock de Coquillages en lien avec les Efflorescences Toxiques) qui a pour but entre autres d’acquérir des connaissances scientifiques sur 1/ l’apparition récurrente des proliférations rapides (bloom) de la micro-algue Pseudo-nitzchia et de la toxicité associée, 2/ les processus de contamination et décontamination en acide domoïque chez la coquille Saint-Jacques et le pétoncle noir. En effet, la coquille Saint-Jacques présente la particularité de décontaminer beaucoup plus lentement que d’autres bivalves comme notamment le pétoncle (plusieurs semaines/mois contre quelques jours/semaines) entrainant des fermetures de pêche d’autant plus longues.

Un premier résultat de MaSCoET est la mise au point , par l’université de Brest, d’une technique analytique permettant de localiser précisément l’acide domoïque dans les tissus des organismes. Il a ainsi été retrouvé à plus de 80% dans la glande digestive au sein du cytoplasme des cellules. Une réglementation stricte gère la pêche et la commercialisation en présence de toxine dans les coquilles Saint-Jacques. Au-delà d’un seuil de 20 microgrammes d’acide domoïque par gramme de chair, seuls la noix (muscle) et le corail (gonade) peuvent être vendus et consommés. On procède au décorticage en éliminant notamment la glande digestive qui concentre l’essentiel de la toxine. Mais ce processus a une limite, puisqu’au-delà d’un seuil de 250 microgrammes par gramme de chair, la pêche est fermée et la commercialisation interdite.

Un autre résultat important a permis d’identifier une cause possible expliquant la dépuration plus lente de la coquille Saint-Jacques comparée à d’autres bivalves notamment au niveau du système digestif. En effet, un certain nombre de bactéries présentes dans le système digestif des dépurateurs rapides et pouvant accélérer la dégradation de l’acide domoïque, ne sont pas retrouvées chez la coquille Saint-Jacques. Une des questions est de savoir s’il est possible de transférer ces bactéries présentes chez la moule par exemple, vers la coquille Saint-Jacques, jouant ainsi le rôle de probiotique. Effectivement, une expérience en laboratoire a mis en évidence une accélération de la décontamination chez des coquilles Saint-Jacques exposées à des broyats de glandes digestives ou à des fèces (excréments) de moules, ainsi que la présence de nouvelles bactéries dans leur système digestif. Ces premiers résultats sont prometteurs mais des questions restent en suspens : peut-on réfléchir à une manière de transférer durablement ces bactéries aux coquilles Saint-Jacques notamment aux stades larvaires ou juvéniles en écloserie ? Remis dans le milieu naturel, ces coquilles Saint-Jacques conserveront-elles leur capacité de dépuration plus rapide en grandissant ? Des premiers tests vont bientôt être réalisés.     

Anticiper l’apparition de la toxine serait une solution pour aider la gestion en période de crise toxique. Malheureusement, les connaissances sont loin d’être suffisantes concernant les facteurs expliquant les blooms de Pseudo-nitzschia pour permettre cette anticipation. A la pointe Bretonne, les observations ont montré que souvent Pseudo-nitzschia apparait en premier lieu dans la baie de Douarnenez avant d’arriver 9 à 10 jours plus tard en rade de Brest. Les suivis réalisés en 2021 et 2022 dans le cadre de MaSCoET n’ont pas permis de mettre en évidence des conditions environnementales précises pouvant expliquer ce décalage. Néanmoins, l’utilisation d’un modèle hydrodynamique a montré qu’un bloom produit en baie de Douarnenez pouvait, selon les conditions de vent et de marée, être transporté vers la rade de Brest en une dizaine de jours et possiblement y initier un bloom. Ainsi suivre les blooms de Pseudo-nitzschia en baie de Douarnenez pourrait permettre d’anticiper ceux de la rade de Brest.

Comprendre les facteurs de perturbation du milieu, anticiper l’apparition de la toxine, étudier la décontamination de la coquille Saint-Jacques doit permettre de repenser la gestion souvent complexe des pêcheries coquillières en période de crise toxique. A deux ans de la fin du projet, l’équipe de scientifiques entament cette dernière phase en partenariat fort avec les comités des pêches et les professionnels, qui fera prendre à MaSCoET tout son sens.